Premières traces de l’acupuncture chinoise
Acupuncture : points et méridiens selon un dessin de l’époque de la dynastie Ming.
Les Chinois ont l’habitude de considérer que la valeur d’une pratique culturelle se juge à son ancienneté. Se placer sous l’autorité d’un maître ancien, fut-il mythique, ou d’une tradition de plus de 5 000 ans, est le garant du sérieux et de la respectabilité de la démarche. « Sans fouler de traces, on ne saurait parvenir jusque dans la pièce » dit le Maître (Entretiens XI, 19). Ce penseur chinois revendique donc ouvertement une tutelle et fuit tout ce qui pourrait ressembler à l’autonomie de pensée.
Le désir d’inscrire l’acupuncture dans une filiation très ancienne a fait considérer que l’existence d’instruments affûtés à l’âge de pierre16 ou d’aiguilles d’os ou de bambou sous les Zhou (-1045 → -256) sont des preuves de l’ancienneté de cette pratique même si ces aiguilles ne servaient qu’à tenir les cheveux ou à drainer le pus des abcès.
La découverte en 1973 de quatorze documents médicaux dans une tombe nouvellement fouillée à Mawangdui 马王堆 / 馬王堆 dans le Hunan a permis de complètement revoir l’histoire de la médecine chinoise. Les spécialistes de ces textes établissent la chronologie suivante :
- Tracé des méridiens reliant les points d’acupuncture (Somme d’acupuncture et de moxibustion 针灸大成, dynastie Ming)En 168 avant notre ère, époque de fermeture de la tombe de Mawangdui, aucune technique d’acupuncture n’était connue. Les textes de ces tombes montrent clairement que les traits typiques de la thérapeutique chinoise n’étaient pas encore établis sous les Qin (-221,-206) et le début des Han. En effet, s’ils décrivent les trajets des conduits à la surface de la peau et l’usage de la moxibustion, ils ne mentionnent jamais l’usage d’aiguilles d’acupuncture.
- La première référence à l’acupuncture clairement datée se trouve dans « les mémoires historiques » (le Shiji) de Sima Qian (-145, -87) compilée en 90 av. J.-C. Dans cet ouvrage, l’auteur décrit un médecin du nom de Chunyu Yi (-216, -150) accusé de mauvaise pratique thérapeutique pour avoir implanté des aiguilles sur des patients. Dans deux procès, en -167 et – 154, le médecin se voit obligé de démontrer l’intérêt thérapeutique de l’acupuncture à une époque où cette technique devait tout juste commencer à se répandre. On pourrait donc dater la naissance de l’acupuncture au milieu du iie siècle avant notre ère. Elle s’imposera ensuite peu à peu comme la thérapeutique dominante de la médecine des correspondances systématiques.
- Le Huangdi Nei Jing 皇帝内经 / 皇帝內經, l’ouvrage de référence sur l’acupuncture, les massages, la gymnastique et les drogues thérapeutiques est donc en partie postérieur. Les textes sont hétérogènes, certaines parties pouvant dater de la fin des Royaumes combattants (-500 à -220) et d’autres du ier siècle avant notre ère. De toutes manières, il n’en existe pas de copie de l’époque Han et toutes les versions qui nous sont parvenues ont subi de nombreuses révisions au cours des siècles.
- Le Nanjing 难经 / 難經, « le Classique des difficultés » unifie les points de vue disparates et parfois incohérents du Huangdi neijing. L’ouvrage, composé entre le ier et le iiie siècle, expose méthodiquement le système conceptuel des correspondances systématiques sur lequel repose depuis environ deux millénaires la médecine traditionnelle chinoise.
Arrivée en Europe
Acupuntura Japonum : planche d’équipement et points d’acupuncture, E. Kaempfer, av. 1716
L’acupuncture aurait été introduite en Europe au xviie siècle par Willem Ten Rhyne, médecin hollandais de la Compagnie des Indes (1679) qui l’aurait découverte à Nagasaki au Japon où il séjourna pendant deux ans, ainsi que par Kæmpfer. Un siècle plus tard, Dujardin et Vicq d’Azyr relatent le procédé dans leurs ouvrages respectifs. Cependant, il semble que ce soit Louis Berlioz, le père du compositeur, qui, le premier, en ait tenté la pratique en France (1810), imité ensuite, malgré un certain scepticisme, par de nombreux médecins, dont Laennec. À partir de 1853, le consul Dabry et les docteurs Frederik Liubenstein et Jules Cloquet participent à sa diffusion en Europe, mais ce n’est vraiment qu’à partir de 1927 qu’elle va devenir populaire grâce aux travaux du sinologue George Soulié de Morant qui étudia l’acupuncture durant son long séjour dans l’Empire du Milieu, et publia lors de son retour en France un imposant traité.
La France est l’un des premiers pays à avoir établi des consultations hospitalières d’acupuncture (1932, Paul Ferreyrolles à l’hôpital Bichat), à inscrire l’acupuncture dans la nomenclature des actes médicaux et à assurer son remboursement par la sécurité sociale (1948), à organiser dans les facultés de médecines un enseignement d’acupuncture sous la forme d’un diplôme inter-universitaire (1987) et d’une capacité de médecine (2007). Toutefois l’acupuncture en France est strictement réservée aux médecins et n’est pas considérée comme une spécialité mais comme une « orientation », qu’il est loisible de déclarer, sans aucun contrôle.
Aux États-Unis, l’acuponcture est célèbre surtout depuis un reportage sensationnaliste du New York Times en juillet 1971, reprenant le récit d’une délégation médicale américaine invitée en Chine pour observer les miracles de la médecine maoïste, témoins d’opérations à cœur ouvert sans anesthésie en réalité complètement truquées par le pouvoir communiste23.
Époque moderne en Asie
L’acupuncture tombe en désuétude pendant l’âge classique en Chine face aux progrès d’autres méthodes, et elle est même supprimée du programme du Collège médical impérial au xixe siècle. Mao Zedong, d’abord opposé à cette méthode – à cause de ses fondements taoïstes incompatibles avec l’idéologie marxiste -, finit par la réhabiliter, face à la pénurie de médecins, et en fait une pratique patriotique.
De nos jours, l’acupuncture occupe en Chine une large place dans la médecine pour un vaste éventail de pathologies, notamment dans les hôpitaux dont certains se sont vus transformés en hauts lieux touristiques. De colossales expériences ont été entreprises, pas toujours en accord avec les principes traditionnels orthodoxes, aboutissant à la multiplication des points situés hors méridiens, et à l’avènement de nouvelles techniques telles que l’analgésie par acupuncture.
Taïwan, où ont pu trouver refuge ceux des maîtres acupuncteurs qui ont échappé aux purges de Mao lors de son arrivée au pouvoir, reste un des hauts-lieux de l’acupuncture traditionnelle